La trilogie du lundi #11
La trilogie du lundi c’est votre rendez-vous hebdomadaire avec trois informations musicales triées sur le volet. On ne se fixe aucune limite de thème ou de format. Notre seul objectif : vous faire découvrir, tous les lundis, trois éléments de la culture musicale sous des formes variées. Un voyage dont vos guides seront tantôt des images, tantôt des sons, tantôt des mots.
A l’occasion de l’exposition Electro : de Kraftwerk à Daft Punk, nous avons fait la découverte de l’artiste Christian Marclay. Celui-ci prend un plaisir certain à détourner des symboles représentatifs de la musique. Oscillant entre art visuel et musique, Marclay déconstruit et reconstruit des matériaux iconiques, tels que le vinyl et sa pochette, se moque des instruments en inventant des alternatives à l’existant impossibles à pratiquer, ou joue de manière peu conventionnelle d’instruments classiques. Dernièrement il a utilisé le contenu d’un géant du numérique pour produire une série de cinq œuvres entre l’auditif et le visuel.
Pour la première fois dans la trilogie du lundi il ne sera donc pas question tout à fait de musicien(s) (bien que Marclay soit lui même DJ) ou de techniques d’enregistrement et de sonorisation, mais d’une production artistique inspirée par la musique. Projecteur sur Christian Marclay, l’artiste qui réinvente la musique.
Le vynil au coeur de la création
Marclay a commencé son exploration artistique entre le son et l’art à travers des spectacles avec des platines en 1979, alors qu’il était encore étudiant. Ses premiers travaux comprennent une série de «dossiers recyclés» (1980-1986), dans lesquels des disques vinyles sont fragmentés et remontés pour devenir des objets hybrides qui peuvent être joués. Le son produit est entrecoupé de sauts brusques de ton et de mélodie.
On retiendra particulièrement de l’exposition de la Philharmonie de Paris la série «Body Mix » sur laquelle il travailla entre 1991 et 1992. Celle-ci consiste à assembler un ensemble de pochettes vinyl pour créer des chimères stars, des instruments infinis. Michael Jackson se retrouve ainsi avec le torse d’une chanteuse noire et la jambe d’une blanche tandis que Jim Morrisson prend une pose hindoue, via un bras piqué chez Cat Stevens, l’autre chez Diana Ross, et deux jambes culottées chez Santana.

Les instruments impraticables
Quand Christian Marclay ne pousse pas les instruments classiques a leurs limites (Guitar Drag) ou les supports d’écoute (Dossiers recyclés) ils repoussent les limites des musiciens à en jouer.
Ainsi ses sculptures prennent la forme d’instruments de musique impossibles car ces instruments sont techniquement inutilisables : Drumkit est une batterie reposant sur des trépieds surdimensionnés, à quatre mètres du sol, Virtuoso montre un accordéon long de sept mètres, ou bien des guitares qui coulent comme les montres de Dali… .
Le sujet du son et de son enregistrement se retrouve également dans ses œuvres sculpturales. En 1989 il élabore The Beatles, un coussin houssé d’une bande sonore crochetée de tous les enregistrements du fabuleux quatuor. L’installation Tape Fall captive le spectateur. Un magnétophone diffuse en boucle un enregistrement d’eau clapotante, tandis qu’une bande tombe en cascade sur le sol et forme une montagne grandissante, troublant les sens, matérialisant notre rapport aux sons.

L'homme qui faisait murmurer les Snaps
En s’intéressant aux dernières productions de l’artiste on découvrira que, comme bien autres, il n’aura pas manquer le virage du numérique. A l’occasion du très réputé festival de créativité/ publicité les Cannes Lions en 2018, l’artiste s’est associé avec Snapchat. Il en résultera une exposition composée de 5 installations prenant pour base les formats vidéo court de la Startup californienne. Avec l’aide des ingénieurs de cette dernière, Marclay a puisé dans les Snaps des stories publiques non pas des images mais des sons qu’ils contenaient. Nous évoquerons ici seulement l’entrée en matière, la clôture ainsi qu’une installation qui a retenu notre attention.
Dans la première pièce de l’exposition, l’artiste a installé 10 smartphones diffusant les sons de centaines de snaps, poduisant ainsi un effet cacophonique desoriantant.
Dans «The Organ», les visiteurs de l’exposition peuvent jouer sur un clavier numérique pleine taille relié à un écran de projection affichant des messages dont les sons correspondent à la note ou aux accords joués.
La cinquième et dernière pièce est consacrée à «Sound Tracks». Elle présente des sons qui pourraient bien sortir d’un cauchemar terrifiant. Le public est immergé dans une pièce sombre de cris étranges. Puis, après avoir jeté un coup d’œil vers le haut à travers les cylindres suspendus au plafond, ils découvrent que la source des sons est en fait des tablettes montrant des versions ralenties de messages réconfortants, comme des enfants adorables jouant avec des animaux.
Si la dernière collaboration artistique de Snapchat avec Jeff Koons avait tout du coup marketing, Marclay à assuré ici que l’opération n’avait aucune visée commerciale de son côté.