Trilogie du lundi #12 : Pressez le bouton « play » du Jukebox de l’actualité

Trilogie du lundi #12

La trilogie du lundi c’est votre rendez-vous hebdomadaire avec trois informations musicales triées sur le volet. On ne se fixe aucune limite de thème ou de format. Notre seul objectif : vous faire découvrir, tous les lundis, trois éléments de la culture musicale sous des formes variées. Un voyage dont vos guides seront tantôt des images, tantôt des sons, tantôt des mots.

Depuis notre première trilogie du lundi, l’amour que nous portons aux podcasts animés par Amaury Chardeau, et plus particulièrement pour son émission diffusée sur France Culture “JukeBox”, n’a cessé de croître.

Avec sa voix posée, ses récits ne sont pas de simples prétextes pour débiter, plus par amour de l’exercice que celui du partage, un condensé d’informations à la limite du digeste. On rentre dans les sujets qu’il présente à l’occasion de ses émissions grâce à un contexte historique dépeint précisément, mais sans excès de zèle, et des anecdotes que l’on aurait souhaité connaître plus tôt. Cette introduction sur mesure permet d’apprécier à leur juste valeur des musiques parfois pointues, (très) souvent inconnues.

Cette semaines, et comme à notre habitude, nous avons donc sélectionné trois émissions de JukeBox que l’on a particulièrement appréciées. Comme il nous semblait compliqué de choisir, nous avons appliqué un filtre supplémentaire pour nous faciliter la tâche, celui de l’actualité. Ainsi, le procès des Balkany nous a rappelé l’émergence du Jazz aux Etats-Unis, et son rapport intime avec les gangsters. Notons que le 4 juin 2019 nous célébrerons les 30 ans de la chute du communisme en Pologne. L’occasion parfaite pour évoquer la montée de la musique Pop en Pologne de 1967 à 1989. Pour finir, retour en musique sur les années Bouteflika.

Ca Jazz chez les Balkany


Si vous ne deviez écouter qu’un épisode de JukeBox, nous vous conseillerions sans hésiter celui-ci. Comme très fréquemment, l’histoire de la musique dont il sera question est merveilleusement introduite. Richardeau se fait conteur, et raconte en détail la sortie de prison de Owney Madden, dit “The Killer”, avant de dérouler l’histoire du Jazz au son des trompettes.

Au milieu des années 1920, les Etats-Unis basculent dans la folie du jazz qui, en peu de temps, va conquérir la planète. Or cette musique est alors essentiellement le fait d’une génération de jeunes musiciens noirs. Des noirs qui à l’époque sont loin d’être toujours bien considérés.

Aussi, se met en place un système de mécénat et de protection, les musiciens se plaçant sous la bienveillante houlette des mafias italiennes ou juives dont les patrons – qui ont le même âge qu’eux – gèrent les boîtes de nuits et les clubs de New-York ou de Chicago. En pleine prohibition, les gangsters s’entichent en effet de cette nouvelle musique dont ils font la bande son de leurs cabarets.

Dans cette histoire on croisera des hommes sanglés dans des costumes impeccables, des femmes chapeautées de cloches, les crissements de puissantes décapotables et des rafales de swing…

La musique et le communisme


Comme nous avons pu le voir dans le film Leto de Kirill Serebrennikov, la musique contestataire et le communisme ne font pas bon ménage. Les vinyles de musique rock sont soigneusement triées et interdits à la vente dans les pays satellisés. Ainsi, outrée par l’autoritarisme dont le parti polonais faisait preuve pour réprimer les jeunes qui n’ont pas eu la chance d’obtenir un billet pour leur concert, les Rolling Stones se feront une virée à Warsovie après leur show, jettant par les fenêtres de leur voiture devant des jeunes traînant dans les rues tous les vinyles dont ils disposaient sur place.

Cependant, comparativement à d’autres pays du bloc soviétique, la Pologne est relativement tolérante en matière de musique occidentale. On y trouve assez facilement au marché noir les nouveautés rock et pop anglo-saxonnes, copiées sur bandes magnétiques ou sur de curieux “disques cartes postales”.  La jeunesse pirate également les disques diffusés sur la BBC ou Radio Luxembourg, dont les émissions musicales ne sont pas brouillées.

Cet environnement favorable permet l’éclosion de nombreux groupes dès la fin des années 1960 : Niebiesko-Czarni, Breakout, Czerwone gitary, dont les textes évitent soigneusement les sujets politiques. Pendant ce temps, la décennie 1970 est marquée par l’élection comme pape en 1978 du Polonais Karol Wojtyła et les révoltes des ouvriers des chantiers navals de Gdańsk en 1970 et 1980 qui conduisent à la création de Solidarność. L’état d’urgence qui s’abat entre 1981 et 1983 n’empêchera pas ensuite l’avènement d’une nouvelle génération de musiciens, punk ou post punk (Maanam, Perfect, Republika, Lady Pank…) dont les textes osent s’opposer plus frontalement au régime, lequel vit ses dernières heures…

La musique sous l’ère Boutéflika


Vendredi après vendredi, depuis le début de la contestation actuelle, un hymne s’impose dans les cortèges : La Casa del Mouradia. Dénonçant la mainmise et les arrangements de la caste politique en place, cette chanson fut composée en 2018  par les supporteurs du club de foot d’Alger, l’USMA. Un simple chant de footeux? C’est que depuis longtemps en Algérie, le football constitue plus qu’un passe-temps. Durant la décennie noire, c’est notamment dans les stades que s’exprimaient les contestations politiques.

Cette décennie noire que l’accession au pouvoir de Bouteflika en 1999 avait permis de refermer, avant que les problèmes endémiques resurgissent : corruption et clientélisme au sommet de l’Etat, et en bas de l’échelle, le chômage qui frappe en masse la jeunesse. Ainsi était né le stéréotype des “hittistes“, ces types qui tiennent les murs, que raconte avec humour Fellag, ou que décrit la romancière Maïssa Bey dans ses Nouvelles d’Algérie (Grasset, 2001) :

“La journée est encore longue. Rien d’autre à faire qu’à traîner avec les copains. Pas encore l’heure de partager le premier joint. On se cale contre le mur. Le même mur depuis la nuit des temps. Chacun son territoire. Celui-là, il va bientôt prendre la forme de notre dos.”

A cette jeunesse sans perspectives, réduite à l’oisiveté par le chômage et à la soumission par la crainte du retour des violences, l’émergence d’une scène hip-hop à Alger, va servir de porte-voix.

Dans cette histoire on croisera des hymnes de stades, des types tenant les murs, de frêles esquifs, et des paraboles tournées vers l’horizon.