La trilogie du lundi c’est votre rendez-vous hebdomadaire avec trois informations musicales triées sur le volet. On ne se fixe aucune limite de thème ou de format. Notre seul objectif : vous faire découvrir, tous les lundis, trois éléments de la culture musicale sous des formes variées. Un voyage dont vos guides seront tantôt des images, tantôt des sons, tantôt des mots.
Dans une vidéo postée le 26 juin sur Youtube on peut voir le groupe Idles, installé derrière un bureau planté au milieu d’étagères remplies de bibelots, qui s’excite et se trémousse dans un espace semblant trop petit pour leur show énergique. Cette scène atypique se trouve être le bureau de Bob Boilen, musicien et journaliste à la National Public Radio (basée à Washington) et, accessoirement, créateur du Tiny Desk Concert.
Ce « minuscule bureau », s’il semble peu adapté à l’accueil de concert, a vu défiler les plus grands musiciens modernes. Depuis 11 ans ce ne sont pas moins de 800 concerts qui s’y sont tenus. Pendant une vingtaine de minutes, le bureau de Bob Boilen devient une petite salle de concert sur laquelle ont joué des artistes tels que Tyler The Creator, Mucca Pazza, le Wu-Tang Clan, Erykah Baduh ou encore Daniil Trifonov.
A l’origine de cette idée, une simple blague entre deux journalistes de la NPR. Alors qu’ils assistent à un festival de musique à Austin, les nuisances sonores empêchent Thompson et Boilen d’entendre Laura Gibson qui se produit sur scène. Thompson apostrophe la chanteuse et lui conseille, en plaisantant, de venir jouer dans les locaux de la NPR, bien plus silencieux. Trois semaines plus tard, l’artiste s’installe dans le petit bureau de Bob Boilen et donne naissance à la première séance du Tiny Desk Concerts. Depuis, le concept a séduit le public. Sa chaîne Youtube cumul aujourd’hui plus de 2,4 millions d’abonnés.
Cette trilogie sera donc consacrée à ce bureau. Nous avons sélectionné 3 vidéos en nous souciant de représenter des styles de musique différents ainsi que des shows dans lesquels les artistes étaient créatifs et généreux.
Thérapie de Blue Man Group
Les 3 membres de Blue Man Group affichent une expression neutre, si ce n’est leurs yeux écarquillés d’hommes venus d’ailleurs qui découvrent les capacités sonores de la planète Terre. Ce projet, aussi bien musical que théâtral, a cela de particulier qu’il se développe, au même moment, dans plusieurs pays. Depuis 2017, les 3 membres initiaux ont monté un centre de formation, et le nombre de membres serait aujourd’hui passé à 7 ou 8 « Blue Man » qui performent à différents endroits du globe.
Lors de leur show au Tiny Desk ils emploient leurs instruments de prédilections, les tuyaux de plastique, s’en servant comme des percussions « xilophoniques ». Durant cette prestation on peut apprécier leur créativité live, faisant participer le public et multipliant les interventions saugrenues, et la particularité de leurs instruments. Moitié thérapie de groupe, moitié teuf d’après-midi, leur show est, comme d’habitude, plein de bonnes surprises. En bonus on peut les suivre déambuler dans les locaux de NPR, en introduction du concert, nous offrant ainsi une visite atypique des lieux.
...Et Tyler créa une ambiance feutrée
Lorsque l’on a vu Tyler the Creator sur scène pour la première fois on a pris une belle claque. La scénographie, composée de grosses fleurs, de massifs et d’écrans balançant des images aux couleurs tranchantes, était hallucinante. Lui, énergique du début à la fin, haranguait la foule avec le soutien de ses backers. Ses qualités de showman étaient incontestables.
Alors, lorsqu’on est tombé sur sa vidéo en traînant du le site de Tiny Desk, on s’est demandé ce que ça pouvait bien donner. Parce qu’au Tiny Desk, il faut être simple. Dans ces quelques mètres carrés pas questions d’entasser les musiciens ni de sonoriser à tout va. En toile de fond des étagères plutôt que des fleurs, la batterie remplace la boite à rythme et les chanteuses remplacent les backeurs. Tyler se sera accordé une petite excentricité visible dans peu de Tiny, un spot de lumière passant du violet au bleu polaire qui vient englober son public dans une ambiance feutrée.
Le résultat ne manque de rien. On rentre simplement dans l’univers de Tyler par la porte d’entrée plutôt que par le kaléidoscope d’une grande scène.
Common déchaîne le Tiny Desk
Tiny Desk propose donc une expérience musicale de proximité. Ceux qui assistent à ces shows sont au même niveau que les artistes qui s’y produisent, alors même que ces derniers jouent devant des stades entiers. Les spectateurs y vont en sachant que le musicien y est roi. Pas question de bavarder, on vous moucherait d’un « chuuut » digne de la Gare Jazz. Cependant, c’est un roi « normal », qui va au bureau et qui travaille comme tout le monde. Loin des effets de scène massifs, à grands renforts de mises en scène et de chorégraphies, on (re-)découvre des musiciens dans leur plus simple appareil. Ainsi NPR vient normaliser la profession de ces stars de la musique, encourageant les dialogues sincères avec un public installé à moins de 3 mètres de lui.
Dans l’histoire du Tiny Desk il existe une session dans laquelle, même si l’artiste va au bureau, ce contexte supposément banal ne suffit pas à normaliser son activité. En 2016 se tient le festival South by South Lawn. Durant une journée entière des créatifs et innovateurs de différents secteurs, dont la musique, s’expriment. A cette occasion, Tiny Desk est invité à délocaliser sa séance dans un bureau autrement plus prestigieux que ceux de la NPR. Bob Boilen, le journaliste qui avait pris l’habitude de prêter son bureau, introduit ce concert et explique à quoi correspond ce décors inhabituel.
C’est à la maison blanche que se déroulera cette première session hors sol. Devant des étagères pleines de livres bien rangés, le rappeur engagé Common est l’invité d’honneur. Il entame son set avec la chanson qui l’a fait connaître, I Used To Love H.E.R, puis enchaîne avec son titre vibrant A letter to the free traitant de l’oppression de la population noire au Etats Unis. Cette prestation n’est pas sans nous rappeler, avec une pointe de nostalgie, la place que l’Amérique sous le mandat Obama donnait à l’art plutôt qu’à des démonstrations de force en politique internationale.